UN ROI POUR LA CORSE (2)
Par quelle curieuse rencontre de circonstances la Corse qui n’avait, dans la période historique, jamais connu de Roi, va-t-elle être régi par un noble westphalien ?
Ce n’est pas le terme de “ Roi ” qui constitue une innovation car la Corse est dans la classification des territoires hérités du monde médiéval considérée comme un royaume : “ Il Regno di Corsica ” et désignée ainsi dans tous les documents administratifs et diplomatiques.
Ce ne sont pas les origines étrangères du Roi qui pourraient choquer les Cours européennes car plusieurs pays sont gouvernés par des dynasties venues d’autres pays d’Europe.
Par contre que les habitants d’un pays, depuis l’empire romain sous la tutelle d’une puissance reconnue, décident de se choisir librement un Roi et de proclamer ainsi leur liberté ne peut que perturber gravement l’ordre établi du monde européen.
SITUATION DE LA CORSE DANS LES ANNÉES PRÉCÉDANT LE SACRE :
La CORSE vit au début du dix-huitième siècle une période de révolte diffuse avec des accès de violence suivie de périodes de répit.
Les Génois considèrent la CORSE comme une colonie qui doit être rentable et les Corses comme indignes d’un statut autre que celui d’un peuple dominé devant avant tout payer l’impôt et se plier aux décisions de la République génoise en matière de développement économique.
Les Génois se trouvent confrontés à une révolte des élites et à une révolte populaire.
En effet, les notables corses, qu’ils vivent sur l’île comme PAOLI, GIAFFERI, CECCALDI ou sur le continent comme Sébastien COSTA, avocat à Gênes, ne peuvent accéder à des fonctions d’importance en raison de leur origine corse, quelques soient leurs qualités, et sont humiliés par les patriciens génois.
De même, le personnel ecclésiastique corse se voit, quelle que soit sa valeur, empêché d’accéder aux fonctions d’évêque en CORSE de par la seule volonté des génois et ils seront à la pointe du combat contre GÊNES, comme le chanoine ORTICONI ou l’abbé SALVINI.
Ces notables s’appuient sur un mécontentement populaire grandissant, les Corses en ont assez des impôts, des humiliations, des colons grecs, des concessions aux génois dans la plaine orientale, des villages détruits pour avoir osé se révolter (près d’une centaine d’après les chroniqueurs), des taxes sur les produits exportés, des restrictions au commerce avec les autres Etats du continent et surtout de la corruption de la justice qui conduit à la vengeance privée.
En 1729, c’est le début d’un état de guerre déclarée par certaines pièves du nord-est de la CORSE qui choisissent des représentants et rentrent en contact avec les corses du continent nombreux tant à GENES qu’à LIVOURNE, à VENISE, à ROME, à NAPLES où ils exercent des professions libérales et commerciales mais également le métier des armes.
Suivent plusieurs années où se succèdent attaques de troupes génoises, consultes adoptant des déclarations revendicatives, tentatives de compromis, trahisons, meurtres, exils.
Un événement extrêmement important se produit le 8 janvier 1735, c’est l’adoption par la Consulte d’OREZZA d’une véritable constitution rédigée par l’Avocat COSTA et organisant de manière autonome “ il Regno di Corsica ” sur la base de la souveraineté du peuple et de la séparation des pouvoirs. L’exécutif est confié à un triumvirat de primats : Giafferi, Paoli et Ceccaldi, des “ uffizii ” sont créés pour gérer les affaires de la Nation ; le royaume est placé sous la protection de la Vierge Marie et le “ Dio Vi Salvi Regina ” devient l’hymne national.
Alors qu’antérieurement, les Corses révoltés n’avaient pas la volonté de créer une organisation civile et militaire nationale mais fixaient par leur Consulte les revendications à présenter aux génois et l’organisation de la révolte, ils revendiquent à présent une organisation autonome de leur territoire , en recherchant un nouveau protecteur .
Mais il convient de rappeler que toutes les pièves de CORSE ne participent pas à la révolte.
Celle-ci ne concerne que RUSTINO, BOZIU, OREZZA, AMPUGNANI, TAVAGNA, A BALAGNA, puis CORTE, MORIANI, CAMPOLORO et une partie de l’ORNANO dans le deçà des monts . Certaines pièves rejoignent la révolte puis l’abandonnent au gré des événements, des querelles de notables ou des changements de camps des meneurs.
En effet, de nombreuses pièves sont tenues par des notables pro-génois et de nombreux corses sont soldats au service de GENES ; et même au sein des pièves révoltées des puissantes familles et leurs fidèles sont opposés aux chefs de la révolte.
Les querelles de personnes et les antagonismes familiaux entretenus par des chefs évincés (notamment le pievan AITELLI) empêchent une unité d’action.
La politique génoise alterne entre la force (par le biais notamment de troupes étrangères rémunérées) et la flatterie, l’intrigue et surtout la corruption à laquelle de nombreux notables corses ne sont pas insensibles.
L’espoir des nationaux réside principalement dans l’aide de l’Espagne, qui ne se concrétisera pas, malgré la présence pendant deux ans d’Andrea CECCALDI à la Cour d’Espagne et les visites fréquentes du chanoine ORTICONI.
Après l’échec militaire de l’attaque contre le fort de SAN PELLEGRINO, le découragement et les désunions atteignent le camp des révoltés.
Les partisans de GÊNES deviennent plus nombreux et des capitaines de la révolte sont prêts à négocier avec le gouvernement génois ou s’apprêtent à prendre le chemin de l’exil.
A venir :Chapitre 3 Portrait de Théodore (Musée de Bastia)